Le skate (monographie)*
Dans la deuxième moitié du 20e siècle, aux États-Unis d’Amérique, se lance la pratique du skateboard. Aujourd’hui prêt à participer aux Jeux Olympiques de 2021, le skateboard est un sport tout autant qu’il est une manière de vivre et cette pratique donne lieu à une culture et des liens sociaux particuliers.
Loin de prétendre tout y connaître, après quelques mois de recherche, d’analyse de matériel donné et de récolte de données empiriques, je peux enfin brosser un bref tableau du skate.
Le skate, c’est avant tout des skateurs. Des skateurs unis, des skateurs pluriels, ils se rassemblent pour skater et se démarquent par leur style.
Les skateurs sont premièrement unis. Ils pratiquent un sport et se regroupent sous une sous-culture qui partage les mêmes grandes bannières : la non-compétition, le non-conformisme, la créativité et l’individualité. Il existe d’évidentes tensions sur ces valeurs : les Jeux Olympiques, par exemple, tout en apportant une visibilité au skate et une légitimité à être reconnu comme un sport, apporte un aspect compétitif. Pourtant, une observatrice externe comprendra vite que la bienveillance et les encouragements priment et que chaque personne peut évoluer à son niveau et selon ses envies pour se démarquer, et se par son style.
Le style est une notion complexe que les acteurs entendent comme étant propre à chaque acteur et pouvant être apprécié par différentes personnes selon ses goûts. Il n’est pas à proprement parler une manière de penser, ni de s’habiller, mais plutôt un aspect visuel qui donne une impression de continuité, de figures bien exécutées, complété inévitablement mais peut-être dans une seconde mesure par la technique et la tenue. C’est également une notion clef, elle détermine ce que certains cherchent ou admirent chez d’autres et semble en ce sens centrale et essentielle à la pratique du skate.¹
C’est par ce style que l’on peut caractériser les skateurs de pluriels. Chaque individu étant encouragé à être unique – même s’il y a des inspirations, des reprises de tricks – et à valoriser l’expression de soi, les skateurs développent une individualité riche qui compose le paysage varié du skate.
Pour skater, il faut un skateboard. La planche (ou board) est l’outil de base du skater sans lequel la pratique n’existe pas. Personnalisable selon les envies, adaptable selon le style, il en existe des longues, des courtes, des dures, des souples, assez pour les différentes disciplines qui forment le skate. Cela permet également d’y accentuer les individualités en créant des sous-disciplines.
Les autres objets utilisés dans le monde du skate sont divers. D’abord, comme pour tout sport, les skateurs ont généralement de l’eau et une tenue adaptée (qui, malgré les variations, garde un style que l’on retrouve comme marque d’appartenance au groupe). Le reste des objets entre dans une catégorie bien aimée des skateurs : les objets détournés. Tout objet, en dehors de sa fonction primordiale, peut être utilisé pour réaliser un trick (une figure) ou comme élément de décor et, dans ce sens là, il est possible d’inclure tout objet dans la pratique du skate. C’est là une force de cette dernière : elle est particulièrement adaptable dans tout contexte urbain.
C’est alors qu’il y a lieu de parler d’espaces. Même s’il existe des disciplines comme la descente ou le mountainboard qui se pratiquent ailleurs, le skate se pratique généralement en ville. De manière pratique, un skateboard nécessite des surfaces comme le bitume pour pouvoir rouler, une qualité de sol particulière à l’urbanisation (une grande quantité d’eau, des cailloux ou de l’herbe rendent le passage impraticable). La ville étant donc le milieu adapté, le skate permet entre autre de se réapproprier des espaces ; il utilisait initialement uniquement l’espace public (parcs, places, rues, escaliers, … ).
S’il y est toujours présent, l’installation de skateparks – des espaces dédiés à cette pratique – change aujourd’hui la donne. En Suisse, les skateparks n’ont pas le caractère strict de New York City² et permettent des lieux de rassemblement autour d’un intérêt commun, avec la possibilité de côtoyer différents niveaux. Le skatepark offre également des structures que l’on ne trouve pas ou peu dans la rue, telles que des rampes et bowls, permettant d’autres formes de skate. En ajoutant à cela le cadre sécurisant pour les parents dans les skateparks, le flat (ou street, ou skate de rue) n’occupe donc que peu du temps des skateurs actuels.
Mais si l’installation d’un skatepark permet une démocratisation de la pratique et que cela arrange les piétons autant que les skateurs, l’aspect de se réapproprier les espaces et de pouvoir skater partout disparaît. La reconnaissance dans le milieu du skate se fait par des photos ou vidéos de tricks dans la rue.
Enfin, c’est cette imbrication d’acteurs, d’objets et d’espaces qui créent la pratique du skate, elle-même étant liée au quotidien de nos villes. Cette présentation sommaire soulève pourtant quelques questions : Les skateurs étant si unis et si diversifiés en même temps, comment décider de qui est légitime à être un skateur ? Les personnes n’utilisant le skateboard que pour se déplacer sont-elles des skateuses ?
Pour approfondir l’angle de recherche amorcé, il y aurait également lieu de creuser l’utilité et l’impact de l’installation des skateparks dans la pratique du skate : Dans quelle mesure les skateparks contribuent-ils à un nouvel essor du skate ? Si les skateurs passent davantage de temps en skatepark, pourquoi la communauté du skate ne valide des tricks que dans la rue ?
Et en plus général : Le skate devient-il institutionnalisé ? Et si la compétition s’installe avec les Jeux Olympiques, les valeurs du skate pourront-elles rester ?
Un premier pas dans ce monde ouvre à de nouveaux questionnements sur cette pratique que tout le monde connaît si bien… ou si peu ?
* Ce texte traitant d’une pratique où les discriminations de genre restent marquées, les accords genrés pour les personnes seront utilisés.
¹ Ce paragraphe est tiré de l’exercice 3.3 effectué par l’auteur sur la notion de style.
² Chihsin Chiu, 2009. "Contestation and Conformity: Street and Park Skateboarding in New York City Public Space" Space and Culture vol. 12, pp. 25-42